Une vache trop remuante, une chute, des blessures au visage, les douleurs après l’accident. Quatre heures de séance d’hypnose, à naviguer entre « côté droit » et « côté gauche » du cerveau, à faire remonter les souvenirs traumatiques refoulés, ont permis à Michèle l’agricultrice d’alléger ses souffrances et de connaître l’apaisement.
A la fin du mois d’août 2019, je reçois dans mon cabinet du Périgord une agricultrice de 54 ans, souffrante et angoissée, que j’appellerai Michèle. Elle avait entendu parler de l’hypnose par son médecin traitant mais ne s’était encore jamais décidée à franchir le pas. Je la fais asseoir sur le canapé, et elle commence à me raconter son histoire. C’était ma dernière patiente de la journée et, à la suite de notre conversation téléphonique lors de la prise de rendez- vous, j’avais prévu de lui consacrer deux heures. Finalement, notre séance – que j’ai préféré ne pas interrompre – a duré quatre heures, pour un résultat inespéré...
ANAMNÈSE
En juin 2013, Michèle avait fait, dans le cadre de son travail, une grave chute qui s’était soldée par une fracture de l’épaule gauche et une opération. Tout cela avait ensuite dégénéré en capsulite rétractile aiguë et syndrome algodystrophique l’empêchant d’utiliser correctement son bras. En 2014, elle a été orientée vers un centre spécialisé pour un temps de rééducation, où elle voyait un kiné trois fois par semaine. Cependant son épaule est malheureusement restée bloquée à 45 degrés avec une douleur persistante qu’elle évaluait à 6 sur une échelle de 10 (échelle EVA). Comble de malchance, en janvier 2018, elle est heurtée violemment par une barrière en métal poussée par une de ses vaches, et elle s’écroule sur le sol. Bilan de l’accident : triple fracture du nez, fracture des pommettes, fracture de la mâchoire, et tout le visage en sang... C’est la pensée de s’être cassé à nouveau l’épaule qui lui est venue en premier lorsqu’elle s’est retrouvée à terre ce jour-là, mais à son grand soulagement, ce ne fut pas le cas ! Michèle, à la suite de cette dernière chute, a aussi perdu le goût et l’odorat, qu’elle n’a toujours pas retrouvés lorsqu’elle vient me consulter plus d’un an et demi plus tard. Malgré les opérations et séances de rééducation subies après cet accident, sa douleur, diagnostiquée à présent comme « chronique », n’a quasiment pas régressé. Elle l’évalue à 8 sur une échelle de 10 (échelle EVA), mais lorsqu’elle se déplace en marchant, Michèle sent des vibrations remonter jusque dans ses mâchoires, ce qui réactive la douleur à son maximum.
Michèle souffre aussi depuis plusieurs mois d’une carie, mais comme elle ne peut plus ouvrir normalement la bouche, son dentiste ne peut pas la soigner. En outre, depuis son dernier accident, Michèle a réduit son alimentation à une nourriture molle qu’elle n’a pas besoin de mastiquer car le simple fait de mâcher, me dit-elle, réactive une douleur encore plus vive dans ses pommettes et les os de son crâne, qu’elle évalue à 10 (échelle EVA) – une situation des plus inconfortables où l’espoir de guérir se réduit de jour en jour... Ma patiente me signalera aussi qu’elle avait fait une chute à l’âge de 10 ans après avoir buté contre un panneau d’affichage alors qu’elle marchait sur un trottoir, ce qui lui avait valu plusieurs heures de coma et quelques jours dans un hôpital, psychiatrique de surcroît, parce qu’elle était soi-disant trop grande pour aller à l’hôpital des enfants et qu’il n’y avait aucune place ailleurs. Inutile de dire que l’ambiance de cet établissement n’a pas été, pour la fillette, des plus rassurantes... Michèle me confie aussi qu’étant la petite dernière d’une famille de quatre enfants, elle n’avait, selon les dires de sa mère, « pas été prévue au programme » : très agréable ! Autre fait important de son histoire : à l’âge de 11 ans, elle perd son papa et personne ne le lui dit.
Placée chez sa grandmère pendant la préparation des obsèques, c’est seulement le lendemain de l’enterrement que sa mère la conduit jusqu’à la tombe de son père et la met, tout simplement, devant le fait accompli. Lorsqu’elle me raconte cela, je constate chez elle pour la première fois une émotion contenue exprimée par le non-verbal : une petite larme au coin de l’oeil, des micro-mouvements de ses lèvres et de ses mains. Pourquoi les choses se sont-elles passées ainsi ? Eh bien parce que son médecin de famille et le neurologue qui la suivaient avaient conseillé à sa mère de la laisser à l’écart de ce deuil pour ne pas heurter sa sensibilité d’enfant, et aussi par précaution par rapport à l’accident qu’elle avait subi un an plus tôt. En vérité, je perçois que c’est ce « non-dit » qui a traumatisé Michèle, et qui lui a fait inconsciemment engranger à la fois une terrible souffrance et une immense colère, qui ne l’ont plus jamais quittée. M’est avis que c’est l’intensité de cette douleur et de cette colère de ne pas avoir été informée de l’accident de voiture de son père, ni de son transfert à l’hôpital, ni de son décès, ni de ses obsèques, qui est venue alimenter le foyer de la douleur ressentie après ses chutes, et qui a rendu cette douleur « chronique ».
Selon le professeur Gérard Ostermann, ce terme, qui évoque le non-retour à un état antérieur, est « un signifiant inadapté et l’on devrait davantage dire : une douleur qui se répète tous les jours – ce qui n’a pas le même sens » (1). Je ne peux que partager son avis. Maintenant, au lieu de décrire dans le détail les différentes étapes de la thérapie de Michèle, je vais simplement lui laisser la parole à partir du retour qu’elle m’en a fait par courriel. Cela permet en effet de mieux comprendre ce qui a été à l’oeuvre dans cette thérapie pour aboutir à une spectaculaire guérison en seulement quatre heures de temps.
LE COMPTE RENDU DE MICHÈLE
« Quand nous nous sommes vus, m’écrit-elle, je venais pour que vous fassiez disparaître mes douleurs du visage et mes douleurs dentaires. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre mais j’étais juste décidée à essayer d’aller mieux ! A la suite de notre séance, je retiendrai surtout un apaisement, une sorte de quiétude assez étonnante. Avant, je ne pensais pas que je souffrais autant d’être emprisonnée dans ce carcan de douleur et de “non-dits”. J’avais mal, mais paradoxalement je ne savais pas que j’allais mal » – très judicieuse constatation ! Et Michèle poursuit : « Mi-septembre, après vous avoir vu, j’ai rencontré une connaissance qui m’a demandé ce que j’avais fait. Sur le moment je n’ai pas compris. Elle m’a dit que j’avais du soleil dans les yeux, que je n’étais plus éteinte. Alors je lui ai répondu que j’avais consulté un thérapeute. Elle m’a dit que ça se voyait. Je sais qu’il m’arrive parfois d’enjoliver un peu mes propos mais c’est exactement ce que je ressens : après tout ce temps de souffrance, je peux franchement dire que je vais mieux, et c’est extraordinaire ! A la suite de notre séance, j’avais décidé de tout garder pour moi et de ne rien dire à personne. Je suis restée quelques jours dans cet état d’esprit. Tous les matins, en me levant, je me disais : “Non, ce n’est pas un rêve, c’est bien la réalité ! Je vais mieux, vraiment mieux.” Mais si je venais à en parler à qui que ce soit, j’avais peur que la douleur revienne, que le bien-être cesse, et donc je n’en parlais pas. Mais là, après la rencontre avec cette connaissance et son point de vue extérieur, tout a changé : j’ai voulu me mettre à partager, j’ai voulu goûter à tout, j’ai voulu sentir, j’ai juste voulu revivre ! »
LE DÉROULEMENT DE LA SÉANCE
Mais voyons à présent le déroulement de la séance elle-même. Après avoir demandé à Michèle son autorisation, je procède à une induction « rapide » de type surprise-confusion – ce qu’il m’arrive de faire de temps à autre lorsque je perçois chez les patients de l’angoisse ou un trop grand désir de contrôle – et Michèle se retrouve en quelques secondes dans un état de transe que je qualifierais de relativement profond. Je vais ensuite utiliser les concepts…
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A la fin du mois d’août 2019, je reçois dans mon cabinet du Périgord une agricultrice de 54 ans, souffrante et angoissée, que j’appellerai Michèle. Elle avait entendu parler de l’hypnose par son médecin traitant mais ne s’était encore jamais décidée à franchir le pas. Je la fais asseoir sur le canapé, et elle commence à me raconter son histoire. C’était ma dernière patiente de la journée et, à la suite de notre conversation téléphonique lors de la prise de rendez- vous, j’avais prévu de lui consacrer deux heures. Finalement, notre séance – que j’ai préféré ne pas interrompre – a duré quatre heures, pour un résultat inespéré...
ANAMNÈSE
En juin 2013, Michèle avait fait, dans le cadre de son travail, une grave chute qui s’était soldée par une fracture de l’épaule gauche et une opération. Tout cela avait ensuite dégénéré en capsulite rétractile aiguë et syndrome algodystrophique l’empêchant d’utiliser correctement son bras. En 2014, elle a été orientée vers un centre spécialisé pour un temps de rééducation, où elle voyait un kiné trois fois par semaine. Cependant son épaule est malheureusement restée bloquée à 45 degrés avec une douleur persistante qu’elle évaluait à 6 sur une échelle de 10 (échelle EVA). Comble de malchance, en janvier 2018, elle est heurtée violemment par une barrière en métal poussée par une de ses vaches, et elle s’écroule sur le sol. Bilan de l’accident : triple fracture du nez, fracture des pommettes, fracture de la mâchoire, et tout le visage en sang... C’est la pensée de s’être cassé à nouveau l’épaule qui lui est venue en premier lorsqu’elle s’est retrouvée à terre ce jour-là, mais à son grand soulagement, ce ne fut pas le cas ! Michèle, à la suite de cette dernière chute, a aussi perdu le goût et l’odorat, qu’elle n’a toujours pas retrouvés lorsqu’elle vient me consulter plus d’un an et demi plus tard. Malgré les opérations et séances de rééducation subies après cet accident, sa douleur, diagnostiquée à présent comme « chronique », n’a quasiment pas régressé. Elle l’évalue à 8 sur une échelle de 10 (échelle EVA), mais lorsqu’elle se déplace en marchant, Michèle sent des vibrations remonter jusque dans ses mâchoires, ce qui réactive la douleur à son maximum.
Michèle souffre aussi depuis plusieurs mois d’une carie, mais comme elle ne peut plus ouvrir normalement la bouche, son dentiste ne peut pas la soigner. En outre, depuis son dernier accident, Michèle a réduit son alimentation à une nourriture molle qu’elle n’a pas besoin de mastiquer car le simple fait de mâcher, me dit-elle, réactive une douleur encore plus vive dans ses pommettes et les os de son crâne, qu’elle évalue à 10 (échelle EVA) – une situation des plus inconfortables où l’espoir de guérir se réduit de jour en jour... Ma patiente me signalera aussi qu’elle avait fait une chute à l’âge de 10 ans après avoir buté contre un panneau d’affichage alors qu’elle marchait sur un trottoir, ce qui lui avait valu plusieurs heures de coma et quelques jours dans un hôpital, psychiatrique de surcroît, parce qu’elle était soi-disant trop grande pour aller à l’hôpital des enfants et qu’il n’y avait aucune place ailleurs. Inutile de dire que l’ambiance de cet établissement n’a pas été, pour la fillette, des plus rassurantes... Michèle me confie aussi qu’étant la petite dernière d’une famille de quatre enfants, elle n’avait, selon les dires de sa mère, « pas été prévue au programme » : très agréable ! Autre fait important de son histoire : à l’âge de 11 ans, elle perd son papa et personne ne le lui dit.
Placée chez sa grandmère pendant la préparation des obsèques, c’est seulement le lendemain de l’enterrement que sa mère la conduit jusqu’à la tombe de son père et la met, tout simplement, devant le fait accompli. Lorsqu’elle me raconte cela, je constate chez elle pour la première fois une émotion contenue exprimée par le non-verbal : une petite larme au coin de l’oeil, des micro-mouvements de ses lèvres et de ses mains. Pourquoi les choses se sont-elles passées ainsi ? Eh bien parce que son médecin de famille et le neurologue qui la suivaient avaient conseillé à sa mère de la laisser à l’écart de ce deuil pour ne pas heurter sa sensibilité d’enfant, et aussi par précaution par rapport à l’accident qu’elle avait subi un an plus tôt. En vérité, je perçois que c’est ce « non-dit » qui a traumatisé Michèle, et qui lui a fait inconsciemment engranger à la fois une terrible souffrance et une immense colère, qui ne l’ont plus jamais quittée. M’est avis que c’est l’intensité de cette douleur et de cette colère de ne pas avoir été informée de l’accident de voiture de son père, ni de son transfert à l’hôpital, ni de son décès, ni de ses obsèques, qui est venue alimenter le foyer de la douleur ressentie après ses chutes, et qui a rendu cette douleur « chronique ».
Selon le professeur Gérard Ostermann, ce terme, qui évoque le non-retour à un état antérieur, est « un signifiant inadapté et l’on devrait davantage dire : une douleur qui se répète tous les jours – ce qui n’a pas le même sens » (1). Je ne peux que partager son avis. Maintenant, au lieu de décrire dans le détail les différentes étapes de la thérapie de Michèle, je vais simplement lui laisser la parole à partir du retour qu’elle m’en a fait par courriel. Cela permet en effet de mieux comprendre ce qui a été à l’oeuvre dans cette thérapie pour aboutir à une spectaculaire guérison en seulement quatre heures de temps.
LE COMPTE RENDU DE MICHÈLE
« Quand nous nous sommes vus, m’écrit-elle, je venais pour que vous fassiez disparaître mes douleurs du visage et mes douleurs dentaires. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre mais j’étais juste décidée à essayer d’aller mieux ! A la suite de notre séance, je retiendrai surtout un apaisement, une sorte de quiétude assez étonnante. Avant, je ne pensais pas que je souffrais autant d’être emprisonnée dans ce carcan de douleur et de “non-dits”. J’avais mal, mais paradoxalement je ne savais pas que j’allais mal » – très judicieuse constatation ! Et Michèle poursuit : « Mi-septembre, après vous avoir vu, j’ai rencontré une connaissance qui m’a demandé ce que j’avais fait. Sur le moment je n’ai pas compris. Elle m’a dit que j’avais du soleil dans les yeux, que je n’étais plus éteinte. Alors je lui ai répondu que j’avais consulté un thérapeute. Elle m’a dit que ça se voyait. Je sais qu’il m’arrive parfois d’enjoliver un peu mes propos mais c’est exactement ce que je ressens : après tout ce temps de souffrance, je peux franchement dire que je vais mieux, et c’est extraordinaire ! A la suite de notre séance, j’avais décidé de tout garder pour moi et de ne rien dire à personne. Je suis restée quelques jours dans cet état d’esprit. Tous les matins, en me levant, je me disais : “Non, ce n’est pas un rêve, c’est bien la réalité ! Je vais mieux, vraiment mieux.” Mais si je venais à en parler à qui que ce soit, j’avais peur que la douleur revienne, que le bien-être cesse, et donc je n’en parlais pas. Mais là, après la rencontre avec cette connaissance et son point de vue extérieur, tout a changé : j’ai voulu me mettre à partager, j’ai voulu goûter à tout, j’ai voulu sentir, j’ai juste voulu revivre ! »
LE DÉROULEMENT DE LA SÉANCE
Mais voyons à présent le déroulement de la séance elle-même. Après avoir demandé à Michèle son autorisation, je procède à une induction « rapide » de type surprise-confusion – ce qu’il m’arrive de faire de temps à autre lorsque je perçois chez les patients de l’angoisse ou un trop grand désir de contrôle – et Michèle se retrouve en quelques secondes dans un état de transe que je qualifierais de relativement profond. Je vais ensuite utiliser les concepts…
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Philippe RAYET
Praticien en hypnose clinique (titulaire du Certificat européen d’hypnose et du Certificat d’hypnose clinique de la CFHTB), praticien EMDR-Europe et certifié en Brainspotting. Il exerce en libéral à Paris et dans le Périgord. Agrégé de l’université et titulaire d’un DEA, il a été aussi professeur dans l’enseignement supérieur. Il intervient dans les congrès internationaux et a participé à plusieurs ouvrages collectifs. Membre de la FF2P, de l’AEPH, de l’IMHEIDF et du RIME.