Hypnose Paris: Laurent Gross, et des hypnothérapeutes, répondent à vos questions sur l'hypnose ericksonienne, l'EMDR, la formation. Avis de thérapeutes










Il ne s'agit plus de moi. Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68.



- Communication au colloque « L’oeuvre de François Roustang », Paris, 19 mars 2022

FRANÇOIS ROUSTANG ÉCOTHÉRAPEUTE

Lors de son intervention sur ce colloque, l’auteure nous restituait l’expérience d’une séance de thérapie par hypnose menée par François Roustang. Elle rappelait sa qualité d’attention, son intense « présence emplie d’un effacement ». Et ce moment où le patient s’abandonne à l’exercice de l’hypnose en s’installant pleinement dans la transe.

Je tenterai par cette présentation de décrire, du point de vue du patient, l’expérience d’une séance de thérapie avec François Roustang, c’est-à-dire ici d’une thérapie par l’hypnose. Mais en réalité, du fait même de la nature de cette approche, cette tâche se révèle ardue. Comment évoquer en effet le travail de François Roustang thérapeute, de la place de l’hypnotisé ? On est réduit pour cela à s’appuyer sur ce qui demeure d’un vécu éprouvé dans les séances, c’est-à-dire s’appuyer sur l’empreinte sensorielle qui en est la résultante. (Je ferai référence pour ma part à quelques séances, espacées de plus d’une décennie, de la rue de Miromesnil à la rue de Naples). Ce que l’on rapporte d’une séance traduit, me semble- t-il, l’un des aspects fondamentaux de sa pratique : celui qui concerne les conditions qu’il met en oeuvre afin que quelque chose se passe, dans le temps de la séance, pour celui ou celle qui « vient le voir ». C’est cela que je voudrais évoquer ici.

Il faut au préalable revenir à ce que veut dire « aller faire une séance » avec François Roustang thérapeute ? On ne va pas « le voir » pour s’engager dans une thérapie au long cours, il me semble, ni même pour « le consulter » dans le sens habituel du terme, mais parce que bloqué dans une difficulté, arrêté par quelque problématique, peut-être très ancienne, on attend de la séance que quelque chose se résolve. Parfois encore, certains en ont témoigné et cela est à souligner, c’est lui-même qui propose à telle ou telle personne de son entourage, chez laquelle il a perçu quelque malaise, de « venir le voir ». Cette invite, je crois, préfigure la nature de son travail. Faire une séance signifie alors faire appel à un thérapeute pour qu’un changement advienne dans le présent. On s’attend à un travail concret, à ce qu’une modification ait lieu, sans délai, à repartir déjà transformé, à repartir d’aplomb, pour poursuivre sa route ; il s’agit d’un soin, au sens propre du terme.

Mais que peut-on restituer d’une séance ? Cela se réduit à peu. Bien que par nature chacune de ses séances soit unique et singulière, il est quelques éléments invariants qui caractérisent son approche, sa façon de travailler. Voici ce que je peux en dire, tous ceux qui l’ont consulté, je pense, les reconnaîtront.

Une séance avec François Roustang c’est s’asseoir dans un fauteuil, en face de lui à une distance notable ; c’est s’installer confortablement dans le fauteuil à son invitation ; c’est sentir, au fur et à mesure que l’on expose son problème, que l’on prend toute sa place dans ce fauteuil, que l’on occupe tout son volume, tout son poids ; c’est habiter son corps. C’est sentir surtout une présence, immobile en apparence, faite d’une attention profonde, presque lourde, une attention totale à vous, une écoute certes, mais au
-delà, et c’est indéfinissable, un accueil total : beaucoup ne retiennent de la séance que cette présence de François Roustang, remarquable, et c’est là sans doute la signature de son travail.

Puis sans délai, après quelques minutes seulement de paroles, il est question de faire un « exercice », c’est-à-dire d’entrer dans ce que l’on nomme « hypnose ». On ne s’attarde pas avec François Roustang à s’épancher sur sa difficulté, il est nul besoin d’anamnèse ou de revenir sur un quelconque passé ou de vouloir tenter de donner un sens à quoi que ce soit. Il s’agit de faire une expérience, presque de se mettre « au travail », par une pression, une injonction ferme. Suggestion directe est donnée d’entrer dans l’exercice d’hypnose avec la difficulté évoquée, pour la voir, la sentir, la « digérer ». Le temps ou l’espace perdent alors leur consistance, la présence ou les paroles du thérapeute se perdent dans un suspens, on est soi-même en suspens, plus rien n’est perceptible si ce n’est sa propre présence, notre propre présence : on demeure, seul, dans une forme d’attente : des ressentis émergent, très souvent totalement inattendus, étonnants, bousculant notre rapport à la difficulté présentée.

Ailleurs, François Roustang peut encore demander de réaliser, concrètement ou en imagination pendant la transe, un geste en lien avec quelque modification, nous le reverrons. Au terme d’un temps impalpable, revenu à des perceptions habituelles, la présence forte, toujours attentive mais qui ne fait plus pression de François Roustang, reprend corps ; elle avait totalement disparu pendant l’exercice. Il ne reste de ce moment thérapeutique que quelques sensations décisives. Peut-être voudraiton en dire quelques mots, mais cela n’est nullement demandé encore moins nécessaire ; cependant, dans ce cas François Roustang redouble les paroles prononcées, confirmant ainsi l’expérience vécue. Quelque chose s’est modifié, d’indéfinissable parfois. La séance est finie.

QUELLE EST LA NATURE DU TRAVAIL EFFECTUÉ ?

Pour dire quelques mots de cette expérience hypnotique, rappelons simplement qu’elle s’inscrit dans le champ des perceptions : par exemple, pour ma part, dans une première séance, une sensation difficile à qualifier, doublée d’une image, fait apparaître tout autre chose que la problématique évoquée : celle-ci prend, de fait, moins d’importance ; en réalité, l’essentiel est ailleurs et de façon très claire. Nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’idée, d’une construction, mais d’un vécu éprouvé, quelque chose se produit, concrètement. Dans une autre séance, l’expérience hypnotique fait taire, dans l’instant, une sorte d’agitation intérieure, donne à sentir que tout « redescend », physiquement, que chaque chose prend sa place, que tout est à sa juste place : cela s’inscrit dans le corps, une transformation a lieu ; on le sent, on le sait, on contacte un changement. Ce qui est à souligner ici, c’est que rien de défini n’était attendu, rien n’a été suggéré.

QUE DEMEURE-T-IL AU TERME DE LA SÉANCE ?

Il demeure en tout premier lieu l’expérience de l’habitation de la totalité de son corps, l’expérience d’être là. Il demeure l’empreinte de ces perceptions éprouvées en transe. Il demeure la sensation d’une forme d’unicité, d’un alignement intérieur, diraient certains. Il ne demeure rien d’autre, rien d’autre de tout ce qui s’est déroulé tout au long de la séance qui dure en général un peu moins d’une heure, rien de ce qu’a pu dire ou proposer François Roustang en dehors de ce qui a été décrit précédemment. On pourrait dire, mais cela n’a pas grand sens en termes habituels, cependant cela parlera probablement à quelques-uns, il ne demeure rien de ce qui est extérieur à soi ou extérieur à son expérience, si ce n’est quelque chose d’une solitude doublée d’une plénitude. La séance de thérapie par hypnose est un moment à la fois plein et vide : plein d’un vécu et de modifications sensorielles, vide de la présence du thérapeute. Mais le fait qu’il ne demeure rien d’autre, « rien » étant un terme encore impropre, n’est pas rien si je puis dire. Ce « rien » est au fondement de l’hypnose et il est la résultante des conditions que François Roustang met en place pour que celle-ci puisse avoir lieu. Il ne s’agit pas d’une quelconque stratégie propre à entraîner l’oubli de la séance, il s’agit de bien plus, de l’essentiel, il me semble, du travail du thérapeute.

COMMENT CARACTÉRISER CE TRAVAIL ?

Pour tenter de dégager quelques traits significatifs de ce travail, nous reprendrons quelques éléments de la séance. D’abord et surtout, il y a l’instauration d’une « certaine qualité d’attention », selon ses mots. Mais celle-ci ne se résume pas à une simple présence, la plus appuyée soit-elle. La présence intense que déploie François Roustang est paradoxalement une forme d’absence, d’effacement. Elle est la résultante d’une « opération de soustraction », pour reprendre ses termes. « Pendant la séance, je m’absente, je me vide, je me vide d’intention, de volonté, de savoir, je me vide de moi », dit-il. Au coeur de la séance, il se déleste donc de tout savoir, technique, procédés, tentatives de diagnostic, plus largement d’une quelconque pensée, pour « tout prendre en compte du patient et le recevoir dans sa totalité ». Il se réduit, continue-t-il, à son volume et à son poids, à « l’état d’être vivant », c’est-à-dire, telle est sa définition, à « un corps en correspondance avec son environnement, en accord avec l’espace, sans projet et sans volonté ». Alors, s’exprime-t-il : « Il ne s’agit plus de moi » et, continuant plus loin : « Je m’efface pour laisser toute la place, je ne suis plus dans ma place, je ne m’habite plus, je me laisse habiter (...) je m’allège à l’extrême (...). Et pourtant, c’est bien à force d’être là, à force de présence, lourde et sans intention, et même de présence matérielle, absolument bête, absolument sans esprit... »…


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Dr Sylvie LE PELLETIER-BEAUFOND

Médecin-psychothérapeute depuis 1991 en libéral. Elle est également hypnothérapeute, thérapeute systémique de famille et de couple. Elle intervient dans le champ professionnel, universitaire. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée par Jean Godin à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang.
Sylvie Le Pelletier-Beaufond est membre du Cercle d’Hypnose contemporaine, de l’Institut Milton Erickson Ile-de- France, et membre de la Société française de Thérapie familiale.

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- Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :

Comment devenir un meilleur thérapeute ?

Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.


. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.

Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.

. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.

- L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.

- Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY

- Olivier de Palezieux nous parle du placebo

- Corps et espace sécure: changer le monde du patient par Jean-François DESJARDINS

- Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime Devars, Anne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.

Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.

Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.

Crédit photo © Michel Eisenlohr



Laurent GROSS
- Hypnothérapeute à Paris 11. - Formateur en EMDR - IMO et Hypnose. - Dirige le CHTIP Collège... En savoir plus sur cet auteur



Rédigé le 26/08/2023 à 22:45 | Lu 987 fois modifié le 27/08/2023



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